Option libre. Du bon usage des licences libres
Introduction générale


Comme toutes les formes d’engagements contractuels, les licences libres ne sont que des artefacts, des outils construits à la plume de l’homme afin d’organiser un cadre de coopération. Aussi, au même titre que tout autre artefact, elles nous façonnent autant qu’on les a façonnées et risquent d’empêcher – ou favoriser – l’apparition de nouveaux usages. Il semble donc indispensable d’identifier leurs origines, les enjeux qu’elles soulèvent ainsi que les déclinaisons possibles du phénomène afin de mesurer leur portée actuelle et future sur notre société.
Ces licences libres fondent le support juridique d’un mouvement qu’on appelle « le Libre ». Le dynamisme et l’accumulation des succès de ce modèle1 forcent l’admiration et attirent les investisseurs qui, au-delà des arguments de coût et de souplesse, y associent une garantie de performance, de fiabilité et d’innovation. Mais, encore plus remarquable, le cadre de cette collaboration a été imaginé et construit par ses utilisateurs, « par le bas », grâce à la mobilisation de centaines – voire de milliers  de contributeurs, personnes physiques et morales, qui ont composé leurs propres règles d’organisation et de participation.
Ainsi, l’observation du phénomène, sujet de recherche pour de nombreuses disciplines de sciences humaines et sociales, ne saurait être complète sans que soit laissée une place importante à l’analyse introspective qui permet d’assimiler l’esprit, les motivations et les mécanismes d’(auto)défense.
S’appuyant sur Internet et le numérique, cette vision a l’effet d’une lame de fond qui submerge tous les fronts et altère l’ensemble des branches de la propriété intellectuelle. Ces bâtisseurs prirent en effet très tôt conscience de l’importance d’attacher ce mouvement au système classique – il fallait penser aux solutions plutôt qu’aux problèmes et il était donc plus efficace de modifier son comportement pour faire évoluer un système en place plutôt que de s’opposer frontalement à ce dernier. Ils affermirent leur relation d’échanges, préexistante et assise sur une éthique commune, par la construction d’un cadre juridique au travers duquel les auteurs partageraient leurs droits : ce fut l’apparition des licences libres.
Par ces licences libres, le public devient auteur et les utilisateurs contributeurs, brisant ainsi la dichotomie classique entre l’auteur (intouchable) et son public (anonyme et passif). Pour reprendre les propos d’Antoine Moreau, « nous sommes tous des artistes.2 »
Mettant de côté l’aspect philanthrope et social qui justifierait l’implication dans une démarche commune, il est légitime de se demander pourquoi tant d’individus et de sociétés – commerciales ! – s’orientent en faveur de cette logique de partage, réduisant le bénéfice lié au monopole induit par le droit, l’avantage économique, que leur confère la loi3. Altruisme ou stratégie pour certains, politique ou pragmatisme pour d’autres, il existe en réalité une abondance de situations et de réponses. À ce stade, il est possible d’affirmer que la consécration de ce nouveau type de relations s’explique dans l’émergence d’un système différent où chacun (acteurs nouveaux ou traditionnels) trouve son compte. En effet, la constitution d’un fonds commun, dans lequel chacun est libre de puiser, bénéficie à tous, quelles que soient les motivations ! Tirant les mêmes bénéfices de l’accroissement du pot commun, chacun est incité à y apporter sa contribution. Il n’y a donc pas une communauté du Libre, mais des communautés, composées de personnes – physiques ou morales (association de droit ou de fait, sociétés, fondations, etc.) – aux intérêts multiples, mais convergents, et gouvernées par des règles qui leur sont propres4 : cette hétérogénéité expliquant, pour partie, le nombre de licences libres utilisées – au moins une centaine ! – et la diversité des pratiques qui les entourent. Certaines normes se sont néanmoins imposées grâce à des organisations telles que la Free Software Foundation, la fondation Creative Commons ou l’Open Source Initiative.
Ainsi, une simple étude des différentes licences libres n’est pas complète sans la compréhension des systèmes – anciens et nouveaux – sur lesquels elles s’appuient, afin de saisir globalement leur utilité et leurs effets. Un détour sur les fondements des droits de Propriété Littéraire et Artistique et de Propriété Industrielle ainsi que sur les pratiques actuelles (principales causes des critiques visant à supprimer ces différents droits) s’impose donc. Il faut ensuite prendre bonne note des modifications structurelles du mouvement afin de dépasser le simple instrumentum des licences libres et caractériser l’impact de l’évolution des pratiques (le numérique amenant notamment à envisager la création par son caractère plural, et faire du monopole l’exception dans un paradigme de partage).
L’objectif de cet ouvrage n’est pas de transformer le lecteur en juriste (qu’il n’ait crainte), ni même en expert ès Licences Libres (ce qui ne saurait pas être une fin en soi), mais d’élargir son horizon et de l’aider à acquérir les bases nécessaires à l’intégration de ces pratiques dans son quotidien.
Pour ce faire, quelques développements inspirés de problématiques bien réelles5 agrémenteront un plan linéaire assez simple s’appuyant sur un parallèle entre le cadre légal associé aux créations de l’esprit, qui mettra en évidence l’équilibre respectif à chaque droit (Partie I), et le système construit par les Licences Libres (Partie 2). Enfin, la dernière partie sera dédiée à l’analyse d’une série de Licences Libres importantes (Partie 3).


1. Dans le désordre : GNU/Linux, Ubuntu, VLC, Firefox, Thunderbird, Chromium, Android, The Gimp, Apache, MySQL, Ubuntu, LibreOffice – mais aussi des projets collaboratifs tels Wikipedia, OpenStreetMap, WikiCommons, etc.
2. Moreau (Antoine), « The Free Art Licence: for Art not to be stopped », CODE – Collaboration and Ownership in the Digital Economy, Queens’ College, Cambridge, 4-6 April 2001.
3. UNU-MERIT, Sopinspace, The impact of Free/Libre/Open Source Software on innovation and competitiveness of the European Union, European Commission, DG ENTR, 2006 (http://flossimpact.eu/).
4. Les règles de gouvernance sont généralement particulières à chaque projet. Pour reprendre l’énumération de la première note : une fondation et des associations pour Wikimedia, la Linux Foundation et la Free Software Foundation, l’association Videolan, la société Oracle Corporation, la fondation Mozilla, la société Google, etc.
5. Dont une partie a déjà été publiée, sous forme d’articles ou de résumés d’interventions, sur le blog Veni, Vidi, Libri (http://blog.venividilibri.org).

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