p.1Si les systèmes de droits d’auteur et de copyright n’existaient pas, faudrait-il aujourd’hui les
inventer ? Probablement pas : ils sont difficiles à maintenir, ont une tendance protectionniste et privilégient essentiellement les grandes stars. Ils suscitent des investissements massifs
dans des productions qui dominent le paysage culturel, et, finalement, sont contraires à la démocratie.
p.2Pourquoi cela ? Le droit de propriété intellectuelle nous interdit de modifier la création
proposée par l’artiste – c’est-à-dire d’entamer un certain dialogue avec l’œuvre –, et nous condamne au statut de consommateur passif face à l’avalanche des expressions culturelles. Le droit d’auteur
est un système archaïque.
p.3Il est difficile de remettre en question la situation actuelle des marchés culturels, complètement
dominés par de – trop – grandes entreprises. Certes, il s’agit d’un héritage du néolibéralisme, mais le prix que nous avons encore récemment payé pour les maux causés par cette idéologie confirme, à
l’évidence, que nous devons la dépasser.
p.4Nous devons nous sentir libres de nous demander s’il est juste que seuls quelques propriétaires de
moyens de production, de distribution et de réception des expressions culturelles influencent et contrôlent substantiellement ce que nous voyons, entendons et lisons. Pour ce qui nous concerne, cela
est inacceptable et contraire à l’idée démocratique de la multiplication des sources de créativité cinématographique, musicale, visuelle et théâtrale… en opposition avec les germes de notre
imagination, ainsi qu’avec nos rêves, nos plaisirs, nos moments de tristesse, nos désirs érotiques, et tous les débats qui concernent notre vie. Nous devrions pouvoir choisir librement entre toutes
les sources et expressions culturelles différentes.
p.5L’objectif de notre ouvrage est d’aller vers un monde sans copyright
…. et sans monopole, de construire des marchés culturels plus justes pour la plupart des artistes, et de donner un plus large choix aux citoyens en faveur de notre communication
culturelle.
p.6
p.7Joost Smiers et Marieke van Schijndel
p.8Amsterdam / Utrecht, janvier 2011
p.9
p.10
Quelques commentaires
p.11Au travers des Framabooks et de multiples autres projets, l’association Framasoft ne promeut pas seulement le logiciel libre, mais œuvre plus généralement pour l’avancement de la culture
libre. Un mouvement qui étend les principes fondateurs du logiciel libre à tous les aspects de la création et de la culture, un
partage organisé favorisé par le
monde numérique dans lequel nous évoluons aujourd’hui. À notre niveau, nous nous inscrivons ainsi dans une réflexion nouvelle sur les rapports entre la création et l’économie, suivant en cela le
chemin ouvert par d’illustres penseurs avant nous. Le juriste Lawrence Lessig, par exemple, laissera sans nul doute une empreinte dans l’histoire pour avoir théorisé et généralisé la nouvelle
conception du droit d’auteur amorcé par l’informaticien Richard Stallman, et joué un rôle
déterminant dans le succès du « mouvement Creative Commons ». En France, nous
pouvons citer de même Philippe Aigrain et son regard éclairé sur la liberté des échanges, une liberté sublimée par Internet et qui conditionne la créativité, ou encore Antoine Moreau, artiste, chercheur et initiateur du mouvement
Copyleft
Attitude, qui avait compris en précurseur l’intérêt d’étendre le copyleft à toutes les sphères de la création. Plus récemment, de nombreux auteurs et artistes ont proposé de réelles alternatives
(réfléchies et réalistes) au monde de la
privation – considérée contraire à la créativité – dont l’HADOPI en France représente un archétype frappant.
p.12Dans ce registre, la collection Framabook s’enrichit présentement d’un essai pour le moins
audacieux et polémique. Le livre de Joost Smiers et Marieke van Schijndel s’inscrit en effet dans cette tradition des essais engagés, qui n’hésitent pas à remettre en cause les paradigmes les plus
ancrés, pour nous exposer les méfaits du droit d’auteur et des mécanismes économiques qui en découlent. Dans le même temps, nos deux auteurs s’inscrivent dans une autre tradition, cette fois beaucoup
plus ancienne, initiée par le philosophe Thomas More et sa description de l’île-république d’Utopia, porte ouverte à la modernité européenne, invitation à l’action et au changement social. Ainsi, non
satisfait de remettre en question, ils proposent un réel système de substitution qui illustre et rend tangible leur proposition – bien loin de l’acception péjorative et anticréatrice qu’a le mot
utopie aujourd’hui, serait-ce un signe des temps ?
p.13À les écouter, cependant, Smiers et van Schijndel ne proposent pas exactement une utopie, mais un
remède concret aux maux des artistes – précarité et instrumentalisation sont les qualificatifs qu’ils utilisent bien souvent – et de leur public – qui, tel un consommateur, ne dispose que d’un choix
d’artistes limité et n’a pas son mot à dire. Ils s’arment ainsi d’audace et imaginent une rupture pleinement assumée avec le modèle actuel afin de faire table rase (abolition des lois relatives au
droit d’auteur, mais aussi suppression des « conglomérats culturels » qui pervertissent le système par leur présence) et laisser la place à une nouvelle économie culturelle. Néanmoins, à la
radicalité de la suppression (autoritaire) du copyright et des monopoles répond une analyse fine et détaillée des bases sur lesquelles une économie de la création égalitaire et rétributive pourrait
se construire de manière durable.
p.14Qu’elles convainquent ou non, ces réflexions méritent indubitablement d’être largement partagées.
Le caractère incitatif du droit d’auteur (et autre droit de propriété intellectuelle) se voit mis à mal dans notre société où l’auteur ne peut vivre de son art tandis que celui qui exploite ses
droits en tire un monopole grâce auquel il domine le marché. La doctrine juridique elle-même est réservée quant à l’évolution actuelle des différents droits de propriété intellectuelle et, même si
elle reste généralement protectrice des auteurs et de leur propriété (bien qu’il soit précisé que cette dernière ne doive pas nécessairement être aussi absolue que celle du Code civil), elle devient
très critique à l’encontre des exploitants, de leurs monopoles et lobbying… précisant, s’il le
fallait, qu’ « à tout vouloir protéger, on passe d’une logique de l’innovation à une logique de la rente ». Nous sommes donc dans une période assez propice à la réflexion, voire à la contestation, et ce n’est pas une surprise si de
nouveaux modèles incitatifs sont proposés afin de remplacer ou rééquilibrer le système actuel – telle la SARD qui a pour objet de favoriser le libre accès à la culture, grâce à un système de financement par le don (modèle économique très en vogue sur Internet).
p.15Enfin, la question de la licence de cet ouvrage illustre parfaitement le décalage entre le droit
positif et le système imaginé par les auteurs. Selon ces derniers, les licences libres et open source sont davantage focalisées sur les œuvres à partager que sur la réalité économique et sociale à
laquelle se confrontent les artistes. Elles participeraient ainsi à la constitution d’une classe souvent dévalorisée et parfois démunie. Néanmoins, publier cet ouvrage sans mention de licence aurait
eu pour conséquence d’empêcher sa diffusion, ce qui nous a conduit à proposer l’utilisation de la licence
CC-Zero – un beau clin d’œil puisque cette licence reconnaît les droits avant d’organiser leur
abandon…
p.16Pour toutes les raisons évoquées ci-dessus, Imagine there is no
copyright… fut choisi pour une traduction collective lors des Rencontres Mondiales du Logiciel Libre tenues à Bordeaux en juillet 2010. Initié par l’équipe Framalang, ce « Traducthon »
fut un essai réussi. Même si le résultat ne pouvait évidemment pas être publié tel quel sans quelques mesures éditoriales, on peut souligner la force avec laquelle il démontra qu’un projet
collaboratif, sur une période très courte d’une semaine intensive, permet de produire un résultat de premier ordre en conjuguant les compétences et les motivations. Forts de cette nouvelle
expérience, ne doutons pas que les prochains « Traducthons » contribueront eux aussi au partage des connaissances en produisant de nouveaux Framabooks.
p.17Nous tenons à remercier ici Joost Smiers et Marieke van Schijndel pour leur disponibilité et
leur écoute, ainsi que toute l’équipe Framalang, les relecteurs de l’équipe Framabook, la Poule ou l’Œuf et toutes les personnes ayant contribué à ce projet et sans qui le partage ne serait qu’un
vain mot.
p.18Christophe Masutti, coordinateur de la collection Framabook,
p.19Benjamin Jean, administrateur de Framasoft et président de la SARD